La commercialisation de la musique la réduit à n’être qu’un produit de consommation. Si la pratique du chant choral me semble si importante aujourd’hui, c’est parce qu’elle démocratise le contact avec la musique. Je vous partage ici les réflexions offertes par Ernest Ansermet en préface à l’ouvrage de Pierre Kælin Le livre du chef de chœur (1949). Ce texte me semble toujours d’actualité.
Un des plus grands dangers de la vie musicale contemporaine est que les gens croient cultiver la musique quand ils se bornent à en entendre, fût-ce en quantité considérable. La multiplication des concerts, l’augmentation numérique des musiciens professionnels, l’expansion des moyens de reproduction mécaniques, disques et radio, tendent de plus en plus à diviser le monde en deux : ceux qui font de la musique et ceux qui l’écoutent. Or, s’il est vrai que l’on peut apprendre à participer à la musique en se bornant à l’écouter, rien n’y prépare mieux, rien n’est plus propre à rendre cette écoute efficace et profitable que la pratique même de la musique, si modeste fût-elle. Le contact réel avec la musique est la première voie d’accès à sa culture.
Il est dans l’essence même de la musique qu’elle est quelque chose que l’on fait d’abord pour soi. Le pâtre dans sa solitude se chante à lui-même, les corporations du moyen âge chantaient en chœur pour leur propre édification ou divertissement, les orchestres d’étudiants pour lesquels Bach écrivait ses suites se les jouaient pour eux, et lorsque le « concert » fut devenu une institution, il était d’abord destiné à un groupe restreint d’auditeurs qui y participaient d’autant plus qu’ils avaient généralement une certaine pratique de l’art. L’évolution vers une division de plus en plus nette entre ceux qui ne font jamais qu’écouter et ceux qui jouent pour les autres tend à donner à la musique un caractère de représentation plutôt que d’expression, qui finirait par lui faire perdre irréparablement sa signification et sa portée culturelle. Aussi faut-il saluer avec reconnaissance tout mouvement tendant à ranimer dans le monde la pratique de l’art, et nulle pratique n’est plus féconde au point de vue culturel que celle de l’art vocal et choral, parce qu’elle nous ramène aux sources mêmes de la musique.
J’en ai fait une tradition de le lire à mes choristes et j’en fais aussi une tradition de le relire, année après année. « Le contact réel avec la musique est la première voie d’accès à sa culture ».